Dans les hautes herbes de mon territoire, camouflée par un buisson, le vent face à moi, j’attendais. Devant moi se trouvait une proie de taille que j’allais me faire un plaisir de réduire en charpie. C’était un chat de Clan du Vent. J’ai horreur de ses félins. Et lui avait eu la naïveté de s’introduire sur le territoire de mon Clan. Pas de chance pour se malheureux, il était tombé sur moi et non sur un traitre.
Il n’avait toujours pas détecté ma présence. Il semblait calme, patientait-il ? Peut m’importait, j’allais bientôt lui montrer à quel point les frontières étaient importantes. Il le payerait cher et ne reviendrait sûrement jamais. C’était tout ce que je voulais. Mais au moment où je m’apprêtais à lui sauter dessus pour lui donner une bonne correction, il y eut du bruit. Un bruit assourdissant qui le fît fuir aussitôt.

C’est en sursaut que je me réveillais ce matin-là. Tout ce qui venait de se passer n’était qu’un rêve. Dommage. Peut-être que si je partais à la chasse non loin de la frontière entre mon Clan et celui du Vent, je tomberais sur cet abrutit !
Avant de sortir faire quoi que ce soit, je m’étirais en baillant à m’en décrocher la mâchoire. La tanière était à moitié vide. Mais peut m’importait, l’entrainement de Nuage de Loup ne reprendrait qu’en fin d’après-midi si tout se passait bien. Alors avec plaisir, je me fis une petite toilette qui ne pouvait pas me faire de mal. La pluie avait collé mon beau pelage.
Ma mission enfin terminée, je me levais avec souplesse pour sortir de la tanière. Les rayons maussades du soleil vinrent m’accueillir en me réchauffant le museau … et en m’éblouissant. Rapidement, mes yeux s’habituèrent à la lumière. Je pu alors voir un novice s’approcher de moi. C’était Nuage de Bourgeon, mon cousin.
Sans faire plus attention à lui, je me dirigeais vers la pile de gibier. Quel hasard ; lui aussi ! La chance que j’avais dites-moi. Il prit un rongeur, tandis que moi je préférais garder la douce saveur du poisson frais.

« Salut Feuille de Basilic ! Ça va ? »

J’ouvris des yeux ronds, surpris. Je ne parlais pas beaucoup à ma famille. Je n’avais d’ailleurs jamais parlé à Nuage de Bourgeon qui venait tout juste d’être nommé apprenti guerrier. Il s’installa près de la tanière d’où je sortais. Apparemment, j’étais convié à son repas … Alors autant le suivre.
Je croquais dans moi poisson au fumet délicat. Il était tout bonnement délicieux ! Je savourais avec plaisir la première proie de la journée. Ce qui me gênait, c’était le regard de l’aspirant. Il me scrutait de la tête aux pattes. Au bon d’un moment, son regard croisa le mien. Ses yeux étaient d’un bleu profond, tandis que les miens tiraient plus vers le vert émeraude.
Nerveusement, il se gratta derrière l’oreille avec sa patte. Là, tout de suite, il me faisait penser à un petit chien. Je ne vois pas le rapport mais, au même moment, je me souvins de sa question.

« Oui je vais bien et toi ? D’ailleurs, félicitation pour ton baptême. Je n’ai pas eu le temps de t’en parler, excuses-moi. »

En fait, elle s’en fichait un peu. Tout le monde devenait apprenti un jour. Si c’était quelqu’un qui avait eu un rôle important dans le Clan, là je me serais peut-être plus intéressée au sujet. Mes excuses n’étaient pas tellement sincère, mais je savais comment faire pour le lui laisser croire : mes yeux. Dans mes prunelles on pouvait lire toutes mes émotions. Du moins, celles que je voulais bien laisser paraitre. Mais j’avais aussi appris à y faire passer de fausses émotions. Utile non ?
Mon poisson n’était qu’à demi-entamé. Et les oreilles en avant, j’attendais une réponse. Comme si cela m’intéressait quoi … Pff. J’aurais préféré continué ma proie et partir d’ici aussi rapidement que possible. Mais qui sait, peut-être que le bambin se révélerait intéressant …

Alors que je continuais de savourer ma proie en présence de Nuage de Bourgeon, un infime soupir m’échappa. Je voulais partir moi. Aller voir si le chat que j’avais vu dans mon rêve existait réellement. Et si c’était le cas, si il reproduisait la même erreur que dans mon songe, il le payerais cher. Mais mon cousin semblait vouloir m’empêcher de sortir.

Mon soupir ne sembla pas être passé inaperçu. Comment je le sais ? Ça ne regarde personne. En tout cas, les yeux de l’apprenti changèrent. Pas beaucoup, mais ils prirent la même lueur que les miens. J’étais légèrement surprise. Si quelqu’un avait compris mes émotions, il m’aurait craché au museau et serait partit. Mais lui, non.

« C’est pas grave ! Moi aussi ça va bien ! Dis, c’est bien d’être espion ? D’espionner les autres ça doit être cool non ? »

Je relevai la tête. Je commençais vraiment à penser qu’il essayait de me garder ici. Rien de tel pour me mettre en rogne. Mais si il comptait jouer le même jeu que moi, alors il serait servi.

« C’est super, en effet. Je suis au courant de tout avant tout le monde, je peux espionner qui je veux et dénoncer les félins qui ne respectent pas le code du guerrier, et personne ne peut remettre ma parole en cause. Et toi, que penses-tu de ton apprentissage ? »

Je n’avais pas pris un ton mielleux, comme celui des hypocrites. Mais je n’avais pas pris non plus une voix rude pour montrer mon mécontentement. Je suppose qu’il l’avait déjà remarqué …

En tout cas, cette boule de poil commençait à attiser ma curiosité. Je ne m’intéressais toujours pas réellement à lui mais peut-être qui si il faisait quelques efforts, je pourrais me montrer sympathique avec lui. Mais qu’il ne tente pas de me mener en bateau ou je lui ferrais regretter. Il avait beau être mon cousin, ce n’était pas avec moi qu’il aurait un traitement de faveur.